Sur le site de la télévision suisse romande , on reparle de l'absinthe.
ABE teste la teneur en thuyone des absinthes
Il y a 94 ans, l'une des justifications à l'interdiction de l'absinthe en Suisse était sa forte teneur en thuyone. La thuyone est une molécule que l'on trouve aussi dans la sauge et, évidemment, comme son nom l'indique, dans les thuyas. La thuyone peut être toxique pour le système nerveux si elle est ingérée à forte dose. Sa quantité dans les alcools est donc réglementée par l'Ordonnance fédérale sur les additifs admis dans les denrées alimentaires. Nous avons testé la teneur en thuyone de 7 produits contemporains contenant de l'absinthe. Quatre extraits d'absinthe français, trois absinthes clandestines suisses et un extrait d'absinthe légal présent sur le marché suisse.
Kurt Hostettmann est professeur à l'école de pharmacie de Genève-Lausanne. Pour lui, l'absinthe est avant tout une plante médicinale excellente pour la digestion. C'est seulement lorsqu'elle est mélangée à de l'alcool qu'elle laisse vraiment échapper cette fameuse thuyone.
Kurt Hostettmann: « Cette thuyone est une substance pour laquelle certains pharmacologues ont démontré une neurotoxicité. A très hautes doses, elle peut provoquer des convulsions qui peuvent ressembler à des crises d'épilepsie. »
La teneur de thuyone dans les spiritueux appelés « bitter » est limitée en Suisse à 35mg par litre. Nous avons fait analyser nos 7 échantillons par le laboratoire du service de la consommation du canton de Neuchâtel. Marc-André Balser, laborantin en chimie: « La première étape, c'est une prise d'échantillon d'absinthe représentative. Ensuite, pour extraire la thuyone, on ajoute du sel de cuisine afin d'augmenter la masse volumique de l'échantillon. Puis on ajoute de l'eau afin de permettre à l'échantillon de bien se solubiliser. »
Pourquoi l'absinthe se trouble ?
« Dans l'absinthe, il y a de l'anis. Dans l'anis, il y a une huile essentielle : l'anéthol. L'anéthol est soluble dans l'alcool, mais très peu dans l'eau. Lorsque je rajoute de l'eau, je diminue la teneur en alcool et l'anéthol va précipiter, c'est-à&endash;dire se retrouver sous une forme non soluble dans l'absinthe : elle devient trouble. » Donc sans anis, l'absinthe ne troublerait pas.
Reste ensuite à rajouter de l'iso octane, une sorte de pétrole, pour extraire la thuyone et les autres huiles essentielles présentes dans l'absinthe. L'échantillon est ensuite placé dans un chromatographe en phase gazeuse couplé à un détecteur de masse, en clair un appareil qui va détecter la quantité de thuyone présente dans chaque échantillon.
Première remarque, tous nos échantillons ont des teneurs en thuyone inférieures à la limite légale de 35 mg/litre.
C'est l'extrait d'absinthe de François Guy à Pontarlier qui contient le plus de thuyone, 29,4 mg/litre. Suivi par l'extrait d'absinthe suisse légal de chez Kübler au Val-de-Travers, avec 15,6 mg/litre. Troisième, mais loin derrière, une absinthe suisse clandestine, avec 5,5 mg/litre. Ensuite, "Un Emile", un spiritueux français aux plantes d'absinthe de chez "Les fils d'Emile Pernot" à Pontarlier, 3,4 mg de thuyone par litre. Cinquième, notre deuxième absinthe clandestine suisse avec 2,5 mg de thuyone par litre. Suivie par une autre clandestine suisse qui contient 2,1 mg de thuyone par litre. L'alcool le moins chargé en thuyone de notre test, c'est l'Abisinthe, un spiritueux français à base de plantes d'absinthe de chez Lemercier Frères dans la Haute-Saône. Il contient seulement 1,2 mg de thuyone par litre.
Marc Treboux, chimiste cantonal à Neuchâtel, suit le dossier de l'absinthe depuis des années. Pour lui, ces résultats sont plutôt rassurants : « Dans ces résultats, ce qui est intéressant, c'est que pratiquement tous les produits ont des teneurs en thuyone qui sont tout à fait normales et admissibles. Donc, aucun des produits n'est réellement dangereux. Ce que l'on remarque aussi, c'est que, contrairement à la légende ou à ce que certains personnes pensent, les absinthes clandestines que l'on a analysées ont des teneurs en thuyone extrêmement faibles et que probablement, dès 2005, avec les mêmes recettes, ces gens pourront commercialiser ce type de produits. »
Mais comment expliquer que les produits qui contiennent le plus de thuyone soient deux extraits d'absinthe à 45 degrés, des produits légaux même pas considérés comme de véritables absinthes ?
Nous sommes retournés chez Yves Kübler, dont l'extrait d'absinthe contenait près de 3 fois plus de thuyone que la première des clandestines.
Yves Kübler : « C'est lié à la plante originale qui pousse dans la région. On n'a actuellement pas la possibilité de travailler avec cette plante-là sur le marché clandestin, à l'exception des quelques distillateurs clandestins qui ont gardé une culture dans leur jardin. L'absinthe qui est utilisée par la majorité des clandestins provient des pays de l'Est. Elle est généralement cultivée sous serre et la thuyone est secrétée naturellement par l'absinthe lorsqu'elle doit se battre contre le froid, contre le chaud, contre le sec et l'humidité. »
Une explication confirmée par la maison François Guy que nous avons jointe à Pontarlier. Son produit a la plus forte teneur en thuyone de notre test et son absinthe est cultivée depuis trois ans dans le Doubs, non loin du Val-de-Travers.
Kurt Hostettman, professeur en pharmacie : « Je pense qu'actuellement ce n'est pas la thuyone qui pose des problèmes, c'est l'alcool. Avec les teneurs limitées en thuyone, aujourd'hui, il n'y a plus aucun risque. Boire un Ouzo, un Pernod, un Pastis, un Ricard, c'est la même chose que de boire de l'absinthe. Les risques sont les mêmes : l'alcool. »