LA TOMBE DE CHILDÉRIC, ROI DES FRANCS
Comme nos ancêtes Celtes, les
Mérovingiens n'étaient pas des individus
barbarres et rustres, telles que les montrent des gravures
d'Epinal (le vase de Soissons...). Certes, ils
étaient de redoutables guerriers, mais ILS
AIMAIENT LE BEAU et se faisaient enterrer avec les
objets qu'ils aimaient. Les échanges avec les autres
civilisations étaient nombreux. On en retrouve les
marques en étudiant ces objets magnifiques. On
constate une unité culturelle et artistique sur toute
l'Europe actuelle et l'Empire byzantin. Voici, par exemple,
ce que nous montre la tombe de Childéric,
découverte en 1653 et réétudiée
récemment. Cet article, de Michel Kazanski,
Chargé de recherche CNRS, chargé de mission au
musée des Antiquités nationales nous le
raconte (Photos service de presse RMN, sauf mention
contraire, article publié dans " Archéologia "
n°371 d'octobre 2000).
La tombe du roi franc Childeric, père de Clovis, mort en 481-482, fut découverte fortuitement à Tournai (Belgique) en 1653. La sépulture fut identifiée grâce à la présence dans le mobilier d'une bague sigillaire portant le nom et le portrait du roi. Les fouilles récentes de l'équipe beIge de Raymond Brulet ont permis de reconstituer la tombe royale et son environnement funéraire. On sait désormais que Childeric fut inhumé sous un tumulus qui offrait un diamètre de 20 a 40 m, probablement dans une chambre funéraire, ce qui évoque les tumuli des rois danubiens, comme celui de Zuran. A la périphérie du tumulus se trouvaient trois tombes de chevaux comportant 7,4 et 10 individus.La tombe de Childéric contenait en outre trois parures en relation directe avec son statut social : une fibule cruciforme en or, qui devait fermer sur l'épaule droite le paludamentum (manteau) du roi franc, également fonctionnaire romain puisqu'il était le gouverneur de la Belgique Seconde; un bracelet en or massif aux extrémités évasées, comme à Pouan, Apahida ou Blucina ; et enfin un anneau sigillaire en or avec le nom, le titre et la représentation du roi. Les armes d'apparat, une longue épée à poignée en tôle d'or et un court scramasaxe d'origine orientale (byzantine ?) faisaient également partie des symboles du haut rang social du défunt.
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La similitude entre le mobilier de Childéric et celui des princes germaniques orientaux du Danube est évidente. C'est ce qui a incité des chercheurs à envisager des contacts de la cour mérovingienne avec les maisons royales du Danube, voire une influence danubienne sur la culture aristocratique de l'Occident. Selon B. Arrhenius, archéologue suédoise qui a mené des recherches fondamentales sur le style cloisonné, le mobilier de Childéric, aussi bien que ceux des princes danubiens, a pu provenir d'un des ateliers de Constantinople. La diffusion dans le milieu aristocratique franc de la mode émanant de la cour de Constantinople s'expliquerait par la loyauté de Childéric envers l'empereur byzantin. |
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Une anse , or et fil perlé en bordure, provenant de la nécropole princière d'Apahida (Transsylvanie), Musée national de Bucarest. |
Plaque-boucle, or, plaque cloisonnée de grenats taillés en table.provenant de la nécropole princière d'Apahida (Transsylvanie), Musée national de Bucarest. |
SUR LA PISTE DES ORFÈVRES DU Vième SIÈCLE
A ces deux hypothèses, "danubienne", on peut actuellement en ajouter une troisième. Effectivement, d'après des travaux récents, il est clair que les objets cloisonnés de Childéric ont une origine méditerranéenne. Or, la réalité des contacts entre Childéric et Constantinople reste à prouver, les sources écrites n'en disant rien ; le scramasaxe de la tombe de Childéric est, certes, une arme venue en Occident par la Méditerranée orientale, cependant il n'est déjà plus une pièce exceptionnelle à cette époque. La découverte à Echborn d'une arme ayant un fourreau de même type, mais sans riche décor, témoigne de leur "banalisation" en Occident. II demeure possible qu'une partie des objets de la tombe de provienne bien d'ateliers byzantins. Mais il reste à démontrer que la diffusion des objets méditerranéens à décor cloisonné soit liée aux sympathies présumées de Chiléric vis à vis de Constantinople. En fait, des objets de mêmes types sont également bien présents chez les Vandales et les Wisigoths, dont la politique était ouvertement "anti-byzantine". II s'agit apparemment d'une mode, qui englobe aussi bien l'Empire d'Orient que la Méditerranée occidentale. Ainsi, dans les faits, rien ne prouve l'origine byzantine du mobilier de la tombe de .
En revanche la recherche de leur origine en Méditerranée occidentale nous paraît plus riche de promesses et on peut supposer qu'au moins certains objets de style cloisonné provenant de la tombe de ont été fabriqués dans l'Empire d'Occident. La découverte à Carthage d'un lot de grenats taillés destinés à être insérés dans des parures témoigne de l'existence d'ateliers locaux en Méditerranée occidentale. L'examen d'objets italiens prouve que des ateliers d'orfèvrerie cloisonnée existaient en Italie. Les contacts de Childeric avec la cour de Ravenne sont bien attestés par des sources écrites : "...Odoacre [chef de l'armée romaine d'Occident et du fait maître d'Italie] conclut une alliance avec et ils soumirent les Alamans qui avaient envahi une partie de l'Italie..." (Grégoire de Tours, Histoire des Francs, II, 19). On peut ainsi supposer que les objets à décor cloisonné de Childéric reflètent plutôt la mode de l'aristocratie militaire de l'Empire d'Occident.
Les parures à décor cloisonné ont été fort prisées par l'aristocratie militaire "barbarisée" de l'Empire d'Occident de la deuxième moitie du Vième siècle : à part les tombes de Pouan et de Tournai, citons l'exemple de la tombe de Capraia récemment découverte en Toscane. Contenant une épée et des plaques-boucles de style cloisonné dont certaines rappellent celles de Childéric, elle représente un témoignage direct de la mode de l'aristocratie militaire en ltalie. Childéric, en tant que général romain, a forcément été touché par la mode militaire de l'Empire d'Occident et il fut peut-être le premier à l'introduire chez les Francs. En effet, ses parures ont servi de prototype à celles de l'aristocratie mérovingienne du dernier tiers du Vième et du début du VIième siècle. L'exemple de la tombe de Childeric est important pour mieux comprendre la formation de la culture du haut Moyen Age occidental. Elle montre aussi bien ses racines diverses qu'une continuité certaine entre civilisations antique et médiévale, ainsi que l'homogénéité de la culture européenne à l'aube du Moyen Age.
Photos service de presse RMN, sauf mention contraire, article publié dans " Archéologia " n°371 d'octobre 2000.