TEL QU'EN LUI-MÊME , PAR ALEXANDRE GADY
(article paru dans le journal " Le Figaro littéraire" du 23 novembre 2.000)
On sait toute la difficulté, pour l'historien, de prendre les Mémoires pour ce qu'ils sont, un plaidoyer a posteriori, un mensonge vraisemblable, parsemé de quelques vérités...
Cette évidence vaut
particulièrement pour les Mémoires d'Haussmann,
le célèbre préfet de Napoléon III,
publiées en 1890-1893 et qui ont fait tant de ravages chez
des biographes crédules (1). Historienne reconnue de
l'urbanisme, Françoise Choay vient d'en procurer la
réedition attendue. On espérait enfin une solide
annotation critique, aidant le lecteur il déjouer les nombreux
mensonges du préfet. Las ! la magie a encore
opéré. Haussmann a donc vu juste en écrivant
sa propre épitaphe : un siècle plus tard, il abuse
encore les meilleurs spécialistes. Embouchant la trompette de
la Renommée, Françoise Choay donne à ce
travail une introduction qui laisse perplexe par son
caractère hagiographique et ses affirmations rapides,
ainsi sur l'insalubrite de la ville ancienne. Paré de
toutes les vertus, lavé de toutes les critiques,
voilà Haussmann propre comme un sou neuf, prêt
à resservir. C'est justement ce que voudraient nous
faire accroire, dans une seconde introduction, deux
urbanistes, B.Landau et V.Sainte-Marie Gauthier.
Mélant apologie de la grille de trottoir Second
Empire et formules incantatoires, leur texte se termine par
un plaidoyer qui ressemble curieusement à une lettre
de candidature : " Le XXIe siècle a pour mission de
définir le cadre d'une nouvelle civilisation urbaine
et les lieux d'une urbanité à venir " (sic).
Cela ne serait rien si l'insuffisance de l'annotation du
texte lui-même n'amoindrissait l'intérêt
de cette nouvelle édition. Sur la question des
Jardins par exemple, un des mythes haussmanniens les plus
tenaces, il aurait été utile d'éclairer
le dépecage du parc Monceau (réduit de
moitié ) ou le saccage du Luxembourg (amputé
d'un tiers).
Que1 intérêt y
a-t-il pour le lecteur de l'an 2000 à relire la propagande
écrite il y a plus de cent ans par Haussmann ? D'ailleurs,
dans leurs annexes, nos haussmannophiles en rajoutent : la carte des
espaces verts " créés ou programmés entre 1855
et 1870 " comprend ainsi les Tuileries, le Champs-de-Mars,le jardin
des Plantes, le parc Monceau et le Luxembourg,...soit tous les
jardins historiques de la capitale, antérieurs au Second
Empire. Grossière, l'erreur n'en est pas moins
révélatrice : Haussmann est un démiurge. Pour un
peu, il aurait créé Paris. Beaucoup plus regrettable
est l'ignorance dans laquelle est tenu un appor majeur à la
bibliogtaphie haussmannienne, la récente étude de
Pierre Casselle, conservateur de la Bibliothèque
administrative de la Ville de Paris,sur la commission Siméon.
Instituée en 1853 et placée sous la direction d'un
conseiller d'Etat, le comte Henri Siméon, cette commission
avait pour but de proposer un plan de travail maodernisant la
capitale, en suggérant des percements réfléchis
et équilibrés. On n'en connaissait que les quelques
lignes assassines d'Haussmann dans le tome II des Mémoires
jusqu'à ce que Pierre Casselle fasse acheter par la Ville les
" papiers simeon ", longtemps conservés en main privée.
Moralité : quand on écrit ses Memoires, mieux vaut
supprimer les pieces à charge.
Or, la Commission Siméon permet de reposer la question patrimoniale, évacuée un peu légèrement par Françoise Choay qui, pour appuyer son propos sur le vieux Paris forcément insalubre et inadapté, cite en référence une étude aussi scientifique que... La Cousine Bette de Balzac ! Littérature n'est pas histoire.
Or, dans les principes définis par Napoléon III lors de l'installation de cette commission, il est question de la préservation des " monuments", au sens qu'on donnait alors à ce terme (Haussman prétendait ainsi n'en avoir abattu aucun, ce que dément ses nombreux actes de vandalisme niés par Choay), mais encore "les belles maisons", expression capitale qui montre une attention très-moderne à la parure des rues. Dans le plan d'urbanisme préparé par la commission Siméon, le faubourg Saint Germain, par exemple, quartier pourvu de nombreux jardins, n'est pas défoncé par des percées meurtrières (boulevard Raspail et Saint-Germain, rue de Solférino) mais contourné par la circulation.
Le débat ne porte donc pas sur une remise en cause de la transformation de Paris, comme veulent le croire avec indignation ou colère les zélateurs du préfet de Badinguet, mais sur la qualité et la nécessité de certaines opérations. Sous cet aspect, le plan Siméon est accablant pour Haussmann : on voit que celui-ci y a puisé toutes les bonnes idées qu'on lui a jusqu'ici attribuées, tandis que celles qu'il y a ajoutées sont les plus néfastes. Le plan Siméon ne prévoit pas la destruction de l'ile de la Cité, ne lotit pas le parc Monceau, n'ampute pas le Luxembourg ; il projette 1'annexion des banlieues et la création du parc Montsouris. L'équilibre est-ouest y est meilleur que chez Haussmann. Ce travail de démontage et de relecture d'un mythe particulierement résistant, Nicolas Chaudun 1'a entrepris avec une belle énergie, sans a priori. Dans son Haussmann au crible, au titre peu élegant mais parfaitement explicite, il s'appuie sur une recherche d'archives renouvelee, ayant pris la pein de lire les papiers Siméon,ainsi que ceux de Persigny, l'homme qui " créa " Haussmann, jusqu'alors obscur préfet à la carriere terne.
Pour le plus grand plaisir du lecteur, la formule vient naturel1ement sous la plume de l'auteur, souvent heureuse, parfois cruelle et ce ton incisif fait contraste avec le récit pâteux des Mémoires, remplis de lourdeurs. Menée tambour battant comme une percée haussmannienne, la démonstration emporte la conviction. Après tant de biographies plus ou moins utiles, c'est sans doute le livre le plus neuf sur un sujet aussi éculé.
On en ressort peu édifié sur l'homme qui rasa Paris avec contentement, sur le nervi du régime impérial, sur le polititien ahuri des derniers jours. Nicolas Chaudun dresse un portrait sans complaisance, donnant quelques pages acides sur les conceptions artistiques du préfet, qui rappelle la médiocrite intellectuelle du personnage et son absence totale de sensibilité. Enfin, avec bon sens,l'auteur vient rappeler combien 1'urbanisme haussmannien, loin d'une quelconque originalité, puise aux sources des Lumières en stéréotypant jusqu'à l'absurde des formules depuis longtemps mises au point. Francois Loyer rappelait récemment à propos d'Haussmann : " Son histoire n'aura pas été celle d'un urbaniste, encore moins d'un artiste, mais d'un technocrate au service du Pouvoir. "
La parution concomitante de cet Haussmann et de la réédition des Mémoires permet donc de corriger utilement ceux-ci avec celui-là. Dans cette "année Haussmann" aussi inattendue que décevante,Nicolas Chaudun a sauvé l'honneur scientifique en ramenant la grenouille, qui avait voulu se faire aussi grosse que le buf, à sa juste proportion.
(1) Le Figaro littéraire du 3 août 2000.
Lire : Mémoires du baron Haussmann éditions Du Seuil, par Françoise Choay.
et Haussmann au crible éditions des Syrtes, par Nicolas Chaudun.