Pour mieux connaître nos ancêtres, prenons l'ascenseur !

 Il vient toujours un moment, dans la vie, où nous éprouvons le besoin de remonter le temps, à la recherche de nos racines. Généalogie, journal familial, réunions familiales, visites des musées provinciaux et des régions où vécurent nos ancêtres, tout cela concourre au même but.

En l'an 2000, 80 % des Français vivent dans les villes et 20 % dans le monde rural. Au 18ième siècle, c'était l'inverse. Cette transformation profonde de notre pays, due aux progrès des sciences et à la modification des comportements humains (industrialisation, chemin de fer, conscription obligatoire, explosion démographique et progrès de l'hygiène entre autres), a touché la quasi-totalité de nos familles, dont la famille LANQUETIN. Regardons les métiers de ces ancêtres :

1397 : Perrenet LANQUETIN

cultivateur abergé=fermier chargé de défricher par le seigneur ou les moines propriétaires.

1491 : Jehan LANQUETIN

cultivateur et prudhomme de la communauté

1648 : Jean LANQUETIN dit "tailleur"

cultivateur

1680 :Claude François LANQUETIN dit "l'ainé"

cultivateur

1716 : Jacques François LANQUETIN dit "le jeune"

cultivateur

1752 : Claude François LANQUETIN

cultivateur

1801 : Sylvestre Félix LANQUETIN

entrepreneur de travaux d'art (= de travaux publics)

1836 : Ulysse LANQUETIN

horloger

1863 : Georges LANQUETIN

distillateur

1891 : Marcel LANQUETIN

préfet de la République

1935 : Georges LANQUETIN

médecin

 

Dans cette famille comme dans beaucoup d'autres, on a pris le fameux "ascenseur social" avec tous ses différents "étages". Voici, depuis le 14ième siècle, les professions pratiquées : cultivateurs (de 1390 à 1830) depuis l'origine des Longevilles (600 habitants), entrepreneur à JOUGNE (2000 habitants) vers 1860, artisan horloger à Pontarlier (8.000 habitants) vers 1880, commerçant vers 1910, préfet en 1937, médecin en 1963.

Trois figures se détachent plus nettement, tant par les métiers exercés que par le parcours : celle d'Ulysse LANQUETIN, horloger, celle de Georges LANQUETIN, distillateur d'absinthe, et celle de Marcel LANQUETIN, préfet.

 

Ulysse LANQUETIN (1836-1894)

Horloger

Il naît aux Longevilles Mont d'Or. A cette époque, on y vivait essentiellement de l'élevage et de la fabrication du fromage (comté, mont d'or), du travail du bois. L'hiver, on fabriquait autour du feu, à côté de l'étable, dans une pièce spécialement aménagée pour la mauvaise saison (le poële), des petits objets faciles à stocker sous le même toit que les animaux et le foin. L'horlogerie correspond parfaitement à cette activité saisonnière. Quand il faut quitter sa famille et le village, quand la famille est trop nombreuse pour les revenus de la ferme familiale (9 enfants chez Sylvestre Lanquetin !), il faut soit connaître un métier et l'apprendre chez un artisan, soit choisir les ordres religieux si l'on sait bien lire et écrire, soit s'engager dans l'armée. Ceux qui ont "tiré le mauvais numéro" partiront à l'armée pour sept ans …

Ulysse choisit l'apprentissage de l'horlogerie. C'est l'époque du développement de cette industrie en SUISSE, dans les villes de La Chaux de Fonds, Travers, et de Morteau et Besançon en France. Il apprend le métier chez M.MINARY, horloger aux FOURGS (25). Comme souvent, l'apprenti épouse la fille du patron… Le père d'Ulysse avait déjà un peu pris "l'ascenseur social", puisque, de cultivateur, il était devenu "entrepreneur de travaux d'art". On dirait maintenant "de travaux publics". Cela ne pouvait déplaire à sa belle famille... Le jeune Ulysse habitait rue de la Gare à Pontarlier, à la même adresse que son frère Louis Séraphin, marchand de fromage, une autre profession bien franc-comtoise.

Comme beaucoup de famille française, cette famille fut durement touchée par les guerres de l'Empire, de Crimée, de 1870 et de 1914-18. Sur 8 frères et sœurs, Ulysse perd son frère de 20 ans, Just Palmyr, à la bataille de Gravelotte en 1870. Georges LANQUETIN et son cousin Jean René FAURE retrouveront en 1990, dans les papiers de famille, la dernière lettre de Just, écrite à ses parents la veille de sa mort, ainsi qu'une attestation du ministère des Armées confirmant (trois ans après !) la mort et la disparition à cette bataille de ce jeune cultivateur de 20 ans. C'est un document historique qui figure dorénavant dans des sites ou livres sur la guerre de 1870. Un autre frère d'Ulysse, Just Séraphin, meurt sous les drapeaux lors de la guerre de Crimée, sans doute mort du typhus à Constantinople en 1854 à l'âge de 22 ans. Et le neveu d'Ulysse, Arthur, le fils de Louis Séraphin, sera tué en 1915…

 Le magasin, lui, était situé à l'angle de la Grande Rue et de la place d'Arçon. Une photo, datant des années 1870 environ, montre le magasin "Au Trésor de la vue". Assez rapidement, une certaine aisance naît du métier d'horloger et le jeune couple achète une maison dans la Grande Rue Pontarlier. Il la vend pour une plus grande, au 4 de la même rue. C'est un grand immeuble construit en pierre sous le règne de Louis XV, après l'incendie qui ravagea Pontarlier. L'atelier était toujours visible en 1960 et les outils d'horloger étaient encore en place, dans les meubles spécifiques. Les lunettes d'Ulysse, en argent, étaient posées sur le meuble de travail… En 2002, on peut toujours voir les initiales d'Ulysse (UL) sur la porte de l'immeuble du 4 rue de la République à Pontarlier.

Georges LANQUETIN, son arrière petit-fils, conserve toujours la plupart des outils, les ébauches de montre, étiquettes, boîtes, minuscules pièces des mouvements, les verres correcteurs, etc. dans leur meuble d'artisan. On peut voir les mêmes au musée de l'horlogerie de Morteau (photo musée)

J'ai pu photographier une horloge comtoise d'Ulysse à l'Abbaye de la Grâce-Dieu de Chaux les Passavant (25). Elle avait été achetée par la maman de la mère supérieure qui se rappelait l'horloge d'Ulysse sonnant les heures de son enfance !

 

Georges LANQUETIN (1863-1940)

Distillateur d'absinthe

Après le décès de deux enfants en bas âge, Georges Ulysse LANQUETIN naît en 1863. Adolescent, il part dans l'Hérault, chez un oncle apprendre le commerce du vin. C'est la "grande" époque du développement de l'absinthe à Pontarlier, d'où proviendra 80 % de la production nationale. D'où le fameux proverbe : "Dans le Doubs, absinthe-toi"… Pour mieux connaître cette boisson, on peut acheter le très beau livre de Marie Claude DELAHAYE "L'absinthe, art et histoireou aller au Musée de l'absinthe à Auvers-sur-oise et voir la tombe de VAN GOGH (mort de l'absinthe ? ?). On peut aussi se rendre à la rubrique "absinthe" de ce site. Sur la photo ci-dessus, G.LANQUETIN à gauche. A côté, son fils Marcel, 9 ans, futur préfet de la République. Sur la table, une carafe à absinthe gravée au nom de l'absinthe Lanquetin et toujours utilisée par son petit-fils Georges (NB : sans l'absinthe) !

 

Cette plante (artemisia absinthium), appelée aussi Aluine, Herbe Sainte ( !), Herbe des Vierges, Herbe aux Vers (nb: intestinaux), etc …est connue depuis la plus haute Antiquité (papyrus égyptien de 1600 av.JC). Mais il flotte autour de cette plante un parfum de poison et de mort. Saint Jean, dans son apocalypse, nous dit : "Et il tomba une grande étoile ardente comme un flambeau, et elle tomba sur le tiers des fleuves et sur les sources des eaux. Le nom de cette étoile est Absinthe ; et le tiers des eaux fut changé en absinthe et beaucoup d'hommes moururent".

Toujours est-il que le major DUBIED et son gendre HL. PERNOD monte une première fabrique d'absinthe vers 1797. L'elixir d'absinthe est alors vendu aux ménages par des colporteurs et réservé aux apothicaires. PERNOD s'intalle ensuite à Pontarlier en 1805. Vers 1900, c'est plusieurs dizaines de plus ou moins grandes fabriques qui existent à Pontarlier. C'est encore, à la rigueur, une potion à visée thérapeutique. Il est vrai que l'absinthe, comme l'anis, à une action contre les troubles intestinaux. Les troupes coloniales de l'époque l'utilisaient au début pour cette action. Ensuite…

Mais, la "fée (?) verte" fait des jaloux et a beaucoup d'adversaires… Il faut dire qu'elle est particulièrement toxique. Elle contient, entre autres constituants, de la thuyone, puissant toxique pour le cerveau, sans compter l'alcool bien sùr. L'accoutumance est très rapide, le prix du verre d'absinthe bien inférieur à celui du vin. Sa culture est facile, même dans ces régions rudes du Doubs. Elle a cette couleur verte un peu diabolique, et elle "n'est pas de chez nous", contrairement au vin, boisson bien française qui ferait la force de nos concitoyens ! Et les régions viticoles (midi de la France, Bourgogne, Gironde) disposaient à l'Assemblée Nationale d'un gros contingent de députés et le Doubs n'en comptait que deux ! .La cause fut entendue, avec l'aval (justifié) du monde médical. L'interdiction de l'absinthe fut conclue en 1915. Sa consommation a disparu mais l'alcoolisme ?? Il paraît qu'on peut en boire en Suisse…Citons aussi dans l'histoire de l'absinthe, les nombreuses caricatures (L'Assiette au Beurre), poëmes, peintures (Degas, Picasso, Forain, Gauguin, Verlaine, etc) sur le sujet.. On buvait l'absinthe dans un verre à pied sur lequel reposait une petite cuiller ajourée supportant le sucre. On versait de l'eau, plus ou moins… comme de nos jours pour les boissons anisées.

buvard G.Lanquetin

carafe G.Lanquetin

 

Marcel LANQUETIN (1891-1956)

Préfet de la République

 

On continue à grimper les étages, grâce à "l'ascenseur"… Sur cette photo, c'est bien Marcel, garçon de 3 ans, habillé en fille comme on le fait à cette époque ! Plus tard, il sera un élève exeptionnel au collège de Pontarlier : toujours prix d'excellence ! Et il joue parfaitement au piano. Il accompagne sa sœur Many, futur premier prix de chant lyrique du Conservatoire de Paris. A 20 ans, il a déjà en poche une licence de Droit et part en 1911 au service militaire (3 ans), qu'il termine en 1914 et repart donc pour 4 ans ! A la fin de la guerre, il envisage la carrière d'avocat. Mais, le député GIRAUD, de Frasnes, ami de son père Georges, commerçant connu, président du Comité des Fêtes de Pontarlier, le fait entrer en 1922 au Ministère des Pensions, au salaire annuel (!) de 8.000 F, "or" quand même !

Vite remarqué, il fait une carrière rapide : chef de cabinet à Tours, à Béziers (où il passe son doctorat en Droit et une licence d'Histoire), il est le dernier sous-préfet de Murat, ville qui ensuite perd sa sous-préfecture. Ensuite, secrétaire général (Belfort) puis sous-préfet de Dinan. Il y rencontre M.GOUZE, proviseur du collège. Les enfants et les parents sympathisent. La fille du proviseur, Danièle, épousera un avocat plein d'avenir, François MITTERAND.

Ensuite, un petit tour dans les cabinets ministériels. A la Marine marchande en 1934. L'appartement est situé place de la Concorde. Mme. LANQUETIN et sa fille Marcelle assistent, en première loge, au 6 février 1934 : émeute des Croix de Feu qui tentent du prendre de force l'Assemblée nationale. Les autobus brûlent et la Garde mobile charge, une balle perdue traverse les volets !

Ensuite, c'est au cabinet du ministre de l'Intérieur, Roger SALENGRO, maire de Lille, que se joue sa carrière. Il apprend, dans les premiers, le suicide de ce dernier, après une violente campagne de calomnie. Il est alors nommé préfet de la Drôme, à Valence en 1937. A la préfecture, on accueille de nombreux réfugiés venant d'Allemagne : juifs, démocrates, républicains. Ils expliquent ce qui se passe là-bas. Difficile de dire : "on ne savait pas".

Vient l'armistice. Les Allemands s'arrêtent, en juin 1940, aux portes de Valence, sur l'Isère. En juillet, c'est l'Etat français, dirigé par le maréchal PETAIN qui prend le pouvoir. Marcel LANQUETIN, dont les convictions politiques sont connues, est révoqué (NB : sans salaire, avec deux enfants). De nombreux témoignages de sympathie lui parviennent dont celui du maire et de l'évêque de Valence.

Il pourrait, comme d'autres, préter serment au nouvel Etat français. Tel le préfet Papon, dont le procès a réveillé ces tristes souvenirs et beaucoup d'autres moins courageux, mais il ne le fait pas ! Il est recasé en 1941 à la Direction de la Santé à Orléans, zone occupée. Des amis, fidèles même dans ces circonstances, le préviennent : il vaut mieux aller en "zone libre", où les Allemands ne sont pas encore et où la police n'est "pas encore aussi efficace" (sic). Il part pour Toulouse, diriger un asile psychiatrique (ce n'est pas un avancement pour un ancien préfet !). Mais là, on est un peu oublié et la nourriture est moins rare qu'ailleurs.

Oublié, mais pas de tout le monde. Un notaire de Pontarlier, surnommé le "gauleiter du Haut-Doubs", écrit au journal collaborateur "Le Pilori" : "Je soutiens votre courageux combat contre les socialistes, les juifs, les francs- maçons. Je vous signale ROSE, ancien maire, FOURNERET, sauveur de Léon BLUM (NB : c'était vrai), LANQUETIN, du cabinet de Salengro…". Trois des cinq personnes dénoncées dans cette lettre mouront en déportation. A la Libération, le dénonciateur a été puni (??) par six mois d'interdiction de droits civiques et a repris son activité dès décembre 1945... Douce France ....

On redéménage donc vers LYON. Là, la proximité des maquis de l'Ain et de l'Ardèche permet au directeur de l'hôpital psychiatrique et aux médecins d'héberger comme malade mentaux, des réfugiés polonais et des résistants. L'annexe de l'hôpital, en Ardèche, opère parfois les blessés des combats de la Résistance. En novembre 1943, à Toulouse, un émissaire du général De Gaulle vient remettre à Marcel LANQUETIN un arrêté, pris à LONDRES par le gouvernement en exil du général de Gaulle, le nommant préfet, pour prendre ses fonctions à la Libération, qui paraît maintenant sûre. Il est nommé dans l'Ain et s'y rend dès la Libération. Là, le chef du maquis a pris possession de la préfecture et n'entend pas céder la place… On va alors à Orléans !

 La carrière se poursuit, ascendante : ARRAS, LILLE, où il termine sa carrière comme IGAME, on dit mainteant préfet de Région. Il refuse la préfecture de la Seine, car ce dernier vient souvent après beaucoup de personnalités parisiennes (ministres, députés, etc).

 On lui propose aussi le poste de Premier ministre de MONACO. C'est la France qui nomme ce haut personnage qui habite au Palais, près du prince, sur le fameux Rocher. Marcel refuse aussi, car il ne veut pas être "un ministre d'opérette", au grand dam de son épouse et de son fils qui se voyaient bien sur la Côte d'Azur ! Il est alors nommé président-directeur-général de la SOFIRAD, société d'Etat qui contrôle Radio Montecarle, Radio Andorre et Radio Luxembourg. La mort arrive en mars 1956. Guy MOLLET, président du Conseil des ministres, qui lui avait proposé d'être son directeur de cabinet et qu'il avait connu à ARRAS, interrompt ses activités pour saluer le corps, comme de nombreuses personnalités (ministres, députés, etc). De très nombreuses décorations reposent sur le cerceuil : commandeur de la Légion d'Honneur, Grand Croix de l'Ordre de Belgique, d'Italie, commandeur des Palmes académiques, de la Santé publique, médaille de la Résistance, etc

 

Un petit clin d'œil de l'Histoire :

Jean LANQUETIN dit "tailleur", qui vivait aux LONGEVILLES vers 1650, a eu deux descendants à qui l'on a proposé la préfecture de la Seine : Jacques Séraphin LANQUETIN, député de la Seine et président du Conseil municipal de Paris, par l'empereur NAPOLEON III en 1852, et Marcel LANQUETIN, préfet du Nord, par le président du Conseil Guy MOLLET en 1955. Ce n'est pas si courant !