Pour mieux connaître l'abbaye de Moissac et l'abbé ANSQUITIL, cliquez ici.
Faire oeuvre d'historien n'est pas facile. Aux connaissances du moment, il faut ajouter une dose de hasard et de chance. Selon la méthode scientifique, il faut aussi faire des hypothèses à partir de faits connus et avérés et, ensuite, vérifier ces hypothèses. En ce qui concerne le patronyme Lanquetin, nous disposons d'un certain nombre de certitudes. Nous pourrons ensuite faire des hypothèses à partir de quelques faits. Le hasard, donc, faisant bien les choses, me fit découvrir que l'abbé qui dirigeait l'abbaye clunisienne de Moissac (Tarn et Garonne) vers 1053 s'appelle ANSQUETIL et qu'il était originaire de Picardie (voirci-dessous photos de la stèle).Deuxième "fait" : les porteurs du patronyme LANQUETIN, vers l'an 1300, sont retrouvés dans deux régions de la France actuelle : la Picardie (Cuigy en Bray et villages voisins) et le Haut Doubs (Les Longevilles et communes voisines). Mais, il existe une différence importante :
en Franche-Comté, on ne retrouve QUE le patronyme Lanquetin (avec une variante LanGuetin en Suise).
en Picardie, on trouve de nombreuses formes dérivées : Anquetin, Anquetil, Anquetot, Ansquetil, Lanquetot, Lanquetin, Lanctin.
Cela semble attester qu'une seule famille et/ou qu'un seul individu (porteur d'un seul de ces patronymes) a quitté la Picardie pour le Haut Doubs, où il a fait souche. Developpons donc cette hypothèse : les patronymes Anquetin, Anquetil, Ansquetil, Lanquetin sont retrouvés en Picardie. Un seul individu, LANQUETIN (Perrenet, en 1394 ? voir ci-dessous) a du quitter la Picardie accompagnant les moines de Cluny vers le Haut Doubs, où ils ont des liens connus avec les moines des abbayes existantes : Romainmôtier (Suisse), Mouthe (Doubs), Labergement Sainte Marie (Doubs), Baumes les Messieurs (Jura). Il est choisi par les moines de Mouthe, de Rochejean ou de Labergement pour être le prud'homme des Longevilles en 1394. Son patronyme traverse les siècles , inchangé dans cette commune.
Et je me permets de proposer une réponse à l'interrogation portant sur l'écriture LanQuetin ou LanGuetin.
Dans le Charte du 26 juillet 1461 apparait bien un Jehan LauGustin, sieur et prod'homme de la Longeville, qui signe cette charte avec les bourgeois des Hôpitaux Neufs et de Métabief, pour répartir plus équitablement les charges de la paroisse... Il est bien évident que ce document n'a pas été écrit "localement" ni par ce Lanquetin lui-même mais par un lettré chargé de rédiger de tels actes, dépendant de l'évéché puisqu'il s'agissait d'une affaire religieuse. Ce lettré put croire bien faire en "rétablissant" le nom LanQuetin en un plus catholique et augustinien LauGustin, surtout s'il écrivait en Suisse où cette orthographe est fréquente. Et les paroisses de Métabief et des Hôpitaux dépendaient du diocèse de Lausane ! Des LanGustin signant une charte, celà avaient une plus belle et catholique allure que des LanQuetin venus d'on ne sait où, il y a deux cents ans !! Voilà, qu'en pensez-vous ? Il s'agit d'une erreur de lettré, le patronyme réel est bien LANQUETIN (ans kettil). Merci de votre avis.
Développons :
Aux Longevilles et alentours, on ne retrouve QUE le patronyme Lanquetin et de plus, INCHANGÉ depuis près de 700 ans. En 1394, on note en effet l'existence d'un Perrenet Lanquetin, prud'homme des Longevilles (Archives de château d'Arlay, d'après les recherches de Mr Locatelli sur l'abbaye de Mont Sainte Marie de Labergement Sainte Marie). Il fait partie des premiers "abergés", c'est à dire les personnes chargées par le seigneur (laïc ou religieux) de défricher la forêt le long de la liaison Rochejean-Jougne en échange du droit à s'installer le long de cette voie.
C'est l'époque de la fondation de ces villages typiques, créés le long d'une route et qui porte un nom révélateur : Longevilles, Longueville, Longevelle, etc. Il faut noter que l'on ne retrouve alors (1394) le patronyme LANQUETIN que dans cette commune, avec une orthographe inchangée, ce qui est rare. On peut, cependant, faire des hypothèses sur l'écriture de LanQuetin ou LanGuetin, sur différents documents. Cela ne change en rien le fait qu'un seul individu portant ce patronyme (Que ou Gue) existait au 14ième siècle. Signalons que le maire des Longevilles, en 2006, s'appelle Lanquetin... Certes, il existe, du côté suisse de la frontière voisine, des Languetin vers Vaulion, Romainmôtier, Yverdon, dès 1450. Mais on connaît le peu de rigueur dans l'écriture des noms aux temps anciens, le phonétisme étant même parfois le fait de lettrés (rares) de l'époque. L'existence dans une seule paroisse impose l'existence probable d'UN SEUL individu à l'origine de cette nombreuse descendance.
L'autre région où l'on rencontre des Lanquetin est la Picardie, notamment à Cuigy en Bray et dans les villages voisins. On note leur présence au 16ième siècle. Mais, contrairement au Haut Doubs, les déformations y sont plus fréquentes, à cette époque comme de nos jours. On y relève : Lanquetin mais aussi Anquetin, Anquetil, Ansquitil, etc. mais jamais Languetin. Ceci semble révéler l'existence de plusieurs familles et souches, avec les déformations orthographiques habituelles.
Revenons au Haut Doubs, vers 1200. C'est l'époque du défrichement, là comme dans toute l'Europe. L'apparition des outils en fer, bon marché, la construction des édifices importants (châteaux, cathédrales, églises), le besoin croissant de bois pour les mines de fer et les hauts fourneaux donnent de l'intérêt à ces régions boisées qui, jusque là, n'avaient pas attiré des peuplements nouveaux. Avec l'aval des féodaux existants, les moines trouvent dans ces zones retirées l'occasion de concilier méditation et ressources. Les comtes d'Arlay (Jean de Châlon) créent le long de la voie Nozeroy-Jougne, une route plus sûre qui remplace celle de Salins-Jougne, trop soumise au pouvoir (et aux taxes !) des sieurs de Joux. Quelques décennies auparavant, les moines de Mouthe, de Labergement puis de Rochejean défrichèrent et sécurisèrent cette nouvelle route. Ils passent d'abord par les hauteurs (Fourcatier, Hôpitaux Vieux, ). On parle ensuite des Hôpitaux Neufs, de Métabief et des Longevilles (Hautes et Basses). Il est donc évident qu'en 1394, le prud'homme de la paroisse des Longevilles (le prud'homme = homme pieux), hameau habité par les premiers défricheurs, était choisi par les féodaux ou les religieux et il devait avoir leur absolue confiance.Mais d'où venaient les moines de Mouthe, de Labergement ? Il faut parler essentiellement des moines de Cluny.
L'abbatiat d'Odilon (994-1049)
Odilon de Mercoeur est né en 961/962 en Auvergne, d'une famille comtale. Il fit ses études au chapitre de Saint-Julien de Brioude, où il devint chanoine. Paralysé des jambes, la tradition veut qu'il obtienne la guérison de Marie et s'en aille en Bourgogne, convaincu par Maïeul de le suivre à Cluny, vers 990, où il se verra d'abord confier la charge des oblats, ces enfants confiés par leurs parents aux monastères. Cinquième abbé de Cluny, Odilon fait prendre à la destinée de l'abbaye clunisienne un véritable tournant. De 980 et 1030, Cluny va étendre son autorité, non seulement en matière religieuse, mais aussi en matière civile. Elle continuera un temps de partager avec le comte le pouvoir judiciaire, puis l'exercera seule. Contrairement à ses prédécesseurs, Odilon conserve le titre d'abbé de Cluny dans les monastères qu'il réforme. Par le biais de ses relations privilégiées avec Otton III, à qui il rend visite à Pavie en 997 (tiens, tiens, passerait-il par Jougne, Romaimôtier et par le Grand Saint Bernard pour aller en Italie ??), il obtient pour son abbaye l'année suivante, du pape Grégoire V, un privilège d'exemption, qui précise en détail les biens détenus par le monastère, d'un côté des biens qu'on pourrait qualifier de seigneuriaux, villae et curtes, de l'autre des biens plus ecclésiastiques, églises, celles, monastères.
Hypothésons donc...mais à partir de faits, rien que des faits !
1) Un seul individu, dénommé Lanquetin, existait dans le canton de Mouthe vers 1350. Il avait la confiance des moines puisqu'ils ont accepté qu'il soit prud'homme des Longevilles et travaille au défrichement le long de la route Nozeroy-Mouthe-Jougne.Ce patronyme se retrouve inchangé depuis 700 ans dans cette région.
3) Il existait des variantes de ce patronyme à la même époque en Picardie (Anquetin, Ansquitil, Lanquetin, Anquetil, etc) mais pas en Franche Comté.
4) Des liens étroits existent entre les moines de Cluny, le défrichements du Haut Doubs et la Picerdie. Guillaume d'Orange, comte de Toulouse fait passer Moissac (Tarn et Garonne) dans l'ordre de Cluny en 1053.. L'un des abbés importants de Moissac (voir la stèle qui s'y trouve toujours) s'appelle ANSQUITIL (variante du patronyme Lanquetin !) et vient de Picardie ! Et Cluny a été fondé par des moines venant de Baumes les Messieurs (Jura).
5) Est-il présomptueux de penser que ce moine, d'influence certaine puisque fondateur d'abbaye clunisienne, originaire de Picardie ait conseillé ("ait pistonné ?") l'embauche de membres de sa parenté, de sa région, de sa famille, auprès de moines clunisiens de Baume les Messieurs et/ou de Cluny qu'il connaîssait ? Et que ces derniers, partant avec les moines de Baume ou de Cluny, les ont accompagnés vers le Haut-Doubs, où l'un d'entre eux, "notre" ancêtre, a fait souche ??). Les moines de Baume les Messieurs, de Mouthe et de l'Abergement Sainte Marie avaient des liens connus avec les moines de Cluny. Ils ont fait venir des travailleurs dont ils connaissaient la famille et l'origine picarde. Comme souvent au Moyen-âge (et de nos jours ...) les amitiés, relations n'étaient pas étrangères à ces choix.Des liens certains entre l'abbé ANSQUITIL, fondateur de Moissac, Cluny, les moines de Mouthe et de Labergement et notre Perrenet Lanquetin (vers l'an 1350) sont réels. Ils appartenaient à cette "mouvance" monastique très importante dans cette période de l'Histoire de l'Europe.
Stèle de l'abbaye de Moissac, dépendant de Cluny, sur laquelle figure le nom de l'abbé ANSQUITIL, d'origine picarde, comme le patronyme Lanquetin....
L'abbate royale de Romainmôtier (canton de Neuchâtel, Suisse), à une journée de marche de Jougne et des Longevilles-Rochejean.
Mais, par-dessus tout, c'est l'indépendance vis-à-vis des évêques que recherche Odilon, et qu'il obtiendra pour tous ses moines, ceux de l'abbaye mère, mais aussi ceux des abbayes-filles, qui ne dépendront plus du diocèse où ils se trouvent, mais dépendront de l'abbé de Cluny, lui-même ne relevant que du Saint-Siège : " Nous décrétons, sous peine d'anathème pour les contrevenants, qu'aucun évêque, aucun membre de l'ordre sacerdotal, ne pourra venir dans votre vénérable couvent pour consacrer l'église, ordonner des prêtres et diacres et célébrer la messe sans y avoir été invité par l'abbé, et qu'il sera en revanche permis aux moines de recevoir les ordres là où il te plaira, à toi (Odilon) et à tes successeurs".Jusqu'aux environs de 1015, l'abbatiat d'Odilon peut se voir comme une première période de développement de l'Ecclesia cluniacensis. Au départ, l'abbé de Cluny fonde de petits monastères alentour et en reçoit en donation. Les prieurés de Charolles et de Marcigny (Saône-et-Loire) dépendaient de l'ordre de Cluny, comme Paray-le-Monial, octroyé en 999 par Hugues, évêque d'Auxerre et comte de Chalon . Citons aussi Bourbon-Lancy, Mesvres, Mont-Saint-Vincent, Saint-Racho-les-Autun, La Voûte-Chilhac (Haute-Loire), Vaux-sur-Poligny (Jura).
Puis, c'est l'expansion géographique, naturellement dans le royaume de Bourgogne, mais aussi en Auvergne (terre natale d'Odilon), en Provence, dans les pays rhodaniens, avec la particularité du choix des abbés de Cluny de se situer près des grandes voies de communication, vers l'Italie (massifs du Jura et des Alpes) et vers l'Espagne surtout.
Citons quelques fondations, en Bourgogne d'abord, dans le territoire occupé par la Suisse : le prieuré Saint-Victor de Genève, en Suisse actuelle (999), où Odilon aurait construit (ou reconstruit) des bâtiments conventuels. L'abbé de Cluny serait venu très fréquemment à Genève (par la route de Jougne vraisemblablement !!), au moins à l'occasion des visites attestées à Payerne et à Romainmôtier, mais aussi au cours de ses voyages à Rome.
Toujours en Suisse, dans la région de Neufchâtel, le prieuré Saint-Pierre de Bevaix (998), fondé par un représentant de la haute noblesse, un certain Rodolphe, qui remet ce monastère, ses domaines et ses serfs, pratiquement l'ensemble du territoire bevaisan, les villages de Brot et de Saint-Martin et cinquante personnes avec leurs familles, le tout au pouvoir de l'abbé de Cluny et de ses successeurs
Evoquons maintenant deux grands prieurés, toujours en Suisse. En premier lieu, la fondation royale de Romainmôtier, octroyée en 929 à Cluny du temps de l'abbé Odon. C'est sous l'abbatiat d'Odilon que commence la construction de l'abbatiale (devenue plus tard prieurale, Sources : - MARCEL PACAUT," A la fin du Xe et au début du XIe siècle" et "les mutations de l'ordre de Cluny de Mayeul à Odilon - site "Hérodote.net".
Le 11 septembre 910, le duc d'Aquitaine Guillaume Ier, dit "le Pieux", cède un bout de lande à un groupe de douze moines bénédictins venus de Baume (nb : les Messieurs), dans le Jura. L'endroit s'appelle Cluny. Situé non loin de la Saône, il est appelé à devenir la plus illustre et la plus grande abbaye du monde occidental, en partie grâce à sa situation géographique, sur la ligne de partage du droit coutumier germanique et du droit écrit romain, de la langue d'oïl et de la langue d'oc, en partie aussi grâce aux privilèges dont est dotée la nouvelle abbaye.
La charte de la nouvelle abbaye a été rédigée deux ans plus tôt, en 909, aux assises de Bourges, en présence de l'archevêque de cette ville ainsi que de nombreux seigneurs et prélats, dont les évêques de Nevers et de Clermont, sous le règne falot du roi carolingien Charles le Simple. Elle stipule que Guillaume, comte d'Auvergne, de Velay, de Mâcon, de Bourges et Duc d'Aquitaine, soucieux du salut de son âme, cédait aux apôtres Pierre et Paul, autrement dit à Rome, sa "villa de Cluni et toutes possessions attenantesÊ: villages et chapelles, serfs des deux sexes, vignes et champs, prés et forêts, eaux courantes et fariniers, terres cultivées et incultes", à charge pour Bernon, abbé de Baume et de Gigny en Jura, co-signataire de la charte, d'y fonder un monastère.
Cluny se donne ainsi des abbés de très grande qualité humaine qui font rayonner l'ordre dans tout l'Occident. DesÊmoines issus de Cluny relèvent de nombreux monastères en déconfiture, comme Saint-Benoît-sur-Loire ou Saint-Maur-des-Fossés,Êet en créent de nouveaux. On compte bientôt plus de mille communautés clunisiennes en Europe. L'abbaye bourguignonne devient très vite le centre d'une congrégation, c'est-à-dire d'un ensemble d'abbayes-filles dont les abbés obéissent à celui de Cluny. Dès avant l'An Mil, ces abbés inspirent les papes et les grands de ce monde. Parmi eux, Odon, successeur de Bernon; Mayeul, Odilon et Hugues qui eurent tous une grande longévité
Odon, issu d'une famille noble de Touraine, est à la fois un ascète et un homme d'action. Moine à Baume (les Messieurs) quand Bernon en était l'abbé, Odon arrive à Cluny avec sa bibliothèque personnelle. Elle compte cent volumes, ce qui est beaucoup pour l'époque. C'est ainsi que Cluny affirme sa primauté sur de nombreux monastères et d'innombrables prieurés tels Romainmôtier, Saint Géraud d'Aurillac, Charlieu, Fleury, Saint Benoît-sur-Loire.
Les donations affluent et l'ordre prospère. Mais, tandis que s'accroît le prestige de Cluny, Rome sombre dans le vice et la violence. Odilon, le successeur de Mayeul, a 29 ans tout juste quand il devient abbé. Il contribue plus qu'aucun autre abbé à l'expansion de l'ordre clunisien. Celui-ci devient une véritable puissance politique et, bien sûr, spirituelle. Comme ses prédécesseurs, Odilon fait son possible pour limiter les guerres féodales. Il instaure la "trêve de Dieu". Par cette convention, les seigneurs s'abstiennent de combattre pendant un certain nombre de jours consacrés à Dieu. L'abbé, diplomate affirmé, se montre aussi proche des humbles. Pendant une terrible famine, en 1006, il vend ses ornements et se fait lui-même mendiant parmi les mendiants.Hugues a 25 ans quand il succède à Odilon, en 1049. Comme ses prédécesseurs, il voyage beaucoup, conseille les grands et s'entremet dans leurs querelles. Il est à la pointe de la grande réforme grégorienne qui adoucit les mÏurs féodales de l'Occident chrétien et impose l'indépendance de l'autorité spirituelle vis-à-vis du pouvoir séculier, celui des seigneurs et des souverains. Le principal promoteur de cette réforme majeure est un moine de Cluny, Hildebrand, élu à la papauté sous le nom de Grégoire VII. Le pape Urbain II poursuit et approfondit la réforme grégorienne avant de prêcher la première croisade. Né à Châtillon-sur-Marne sous le nom d'Odon de Lagery, il séjourne à Cluny avant d'être lui-même élu pape. à la mort de Hugues, ce sixième abbé, en 1109, Cluny peut se flatter d'avoir changé l'église et l'Occident.